The Wicca judgment
[1] Le demandeur Christos Papakostas (ci-après « Papakostas »[1]) tente d’obtenir une ordonnance de sauvegarde qui vise le sursis d’une ordonnance d’euthanasie d’un chien émise par Benoit Lacroix (ci-après « Lacroix »), directeur de l’aménagement urbain et des services aux entreprises, s’autorisant de l’article 19 du Règlement de la Ville de Montréal sur le contrôle des chiens et autres animaux[2].
[2] En sa qualité de directeur désigné par l’article 1 du règlement précité, Lacroix a ordonné l’euthanasie du chien de Papakostas après que l’animal ait mordu deux personnes.
LE CONTEXTE
[3] Papakostas est propriétaire d’un chien appelé Wicca de race « American Staffordshire Terrier » couramment identifié comme étant un « Pitt Bull ».
[4] Le 7 juin 2012, peu avant midi, la police de Montréal est appelée afin d’intervenir à la suite d’une agression canine à l’endroit d’une dame passante sur la rue Jarry Ouest à Montréal.
[5] Sans avertissement et soudainement, alors qu’en laisse tenue par son maître, Wicca a mordu une passante sur le trottoir. La version de la personne mordue révèle qu’elle n’a ni provoqué le chien ni cherché à l’approcher.
[6] En raison d’une morsure importante à l’abdomen, les policiers ont requis les services d’urgence santé. Dans la demi-heure suivant l’événement, les ambulanciers se sont pointés sur la rue Jarry. L’un des préposés s’est alors approché de Papakostas pour le questionner sur l’incident. Qu’elle ne fut pas sa surprise de se faire mordre lui aussi par le chien qui l’a agressé dans la région des parties génitales.
[7] Le rapport de Jonathan Sirois (ci-après « Sirois »), chargé de l’inspection du domaine public de l’arrondissement Villeray-St-Michel – Parc-Extention, est sans équivoque; l’agression a été commise par le même chien sans avertissement, spontanément et hors de contrôle du maître bien que le chien fut en laisse.
[8] C’est le rapport d’inspection de Sirois qui a servi de fondement à Lacroix, directeur de l’aménagement urbain, pour ordonner l’euthanasie du chien.
[9] Pour en décider ainsi, Lacroix a consulté le rapport de police et celui de l’inspecteur Sirois. Le rapport de Sirois contient la version des faits du demandeur et celle des victimes de morsure.
[10] L’ordre de faire euthanasier le chien dans un délai de 48 heures a été signifié à Papakostas le 11 juin 2012.
[11] Le 13 juin, le demandeur a proposé à Sirois d’abandonner l’ordre ou du moins de lui permettre de faire évaluer le comportement de son chien par un expert. Dans l’intervalle, il s’engageait à prendre des cours de dressage afin de modifier le comportement de son chien.
[12] Cette proposition fut refusée par Lacroix qui a choisi de maintenir l’ordre d’euthanasie en raison du danger que le chien Wicca représente pour la santé ou la sécurité du public.
[13] Selon Lacroix, il est nécessaire et urgent, dans l’intérêt public, de supprimer le chien afin d’éviter toute possibilité de récidive, le chien représentant un danger pour la santé et la sécurité du public.
[14] De là la requête introduite par Papakostas qui demande un sursis et la révision de la décision du directeur Lacroix.
Les prétentions de Papakostas
[15] Pour l’essentiel, Papakostas plaide :
• que la décision du directeur de l’urbanisme fut prise sans lui donner l’occasion de se faire entendre;
• que la décision attaquée est abusive, péremptoire et sans autorité légale;
• qu’il s’agit d’une forme d’expropriation qui le prive d’un bien qui lui appartient;
• qu’il est privé de produire une preuve d’expert sur le comportement de son chien;
• que le règlement municipal en cause contrevient à la Charte des droits et libertés.
[16] En outre, Papakostas demande au stade final de condamner la Ville de Montréal à des dommages punitifs de 25 000 $ pour abus de pouvoir.
Les prétentions de la Ville de Montréal
[17] La Ville de Montréal soutient que :
• la requête du demandeur ne satisfait pas aux critères exigés pour l’émission d’un sursis ou d’une ordonnance de sauvegarde;
• les règles d’équité procédurale ont été respectées;
• le Règlement C-10 est présumé valide;
• l’intérêt public doit primer sur l’intérêt privé du demandeur;
• il est urgent que l’ordre du directeur de l’aménagement urbain exigeant l’euthanasie du chien soit mis en force en raison du risque que comporte l’animal pour la sécurité publique.
LES CRITÈRES JURIDIQUES APPLICABLES
[18] Pour accorder cette mesure discrétionnaire et exceptionnelle qu’est le sursis ou l’ordonnance de sauvegarde, le Tribunal doit être convaincu raisonnablement que le demandeur a démontré :
a) une question sérieuse ou une apparence de droit suffisante et non frivole;
b) un préjudice irréparable;
c) que la prépondérance des inconvénients favorise celui qui demande l’ordonnance, et ce, en tenant compte de l’intérêt public.
[19] Examinons la preuve disponible sous l’éclairage des critères ci-devant énoncés.
ANALYSE ET DISCUSSION
A) L’apparence de droit suffisante
[20] Le chien en cause a mordu deux personnes en l’espace d’une heure. Mais surtout, s’y est adonné sans avertissement, sans provocation et tout à fait gratuitement. Le chien n’était pas en situation de protection de son maître ou en position de garde. On peut expliquer le comportement asocial d’un chien envers un autre chien, mais pas envers une personne innocente. L’animal en cause a démontré une agressivité peu commune qui indique que même en laisse, sous le contrôle de son maître, il est capable d’attaquer une victime spontanément. Nul doute que ce chien constitue objectivement un danger et une menace constante pour son entourage. Rien dans le Règlement C-10 n’exige que le directeur de l’urbanisme attende une récidive avant d’agir afin d’assurer la protection des citoyens.
[21] Une évaluation comportementale n’est pas nécessaire et n’ajoutera rien au caractère dangereux et imprévisible du chien.
[22] Papakostas a eu l’opportunité de faire valoir son point de vue à Sirois qui a finalement rapporté sa proposition à Lacroix lequel, dans l’exercice de la discrétion que lui confère le règlement municipal, a décidé de maintenir l’ordre d’euthanasie. Le Tribunal n’y voit pas d’accroc à l’équité procédurale. Papakostas a été valablement entendu. Son droit sur cet aspect est inexistant.
[23] Il est clair que le règlement C-10 attribue au directeur la compétence d’agir en pareilles circonstances. Nul doute que le directeur Lacroix a pris sa décision avec l’autorité légale voulue.
[24] Les circonstances particulières du cas sous étude ne font pas état d’un abus de pouvoir. Bien au contraire, le Tribunal y voit l’administration raisonnable des critères applicables, dont le plus important, la protection du public. Peut-on blâmer le directeur de l’urbanisme d’avoir conclu au danger que représente cet animal pour les citoyens de la Ville de Montréal, sûrement pas.
[25] La Ville de Montréal ne s’approprie pas de l’animal. C’est un argument futile de prétendre à une forme d’expropriation.
[26] Finalement, il faut donner effet à la présomption de validité du règlement municipal. Comme l’a dit le juge Riordan :
« […] il est de connaissance judiciaire que certains chiens posent une menace à la sécurité des citoyens et qu’il est de pratique courante et de longue date d’abattre de tels animaux. »[3]
[27] Ce qui distingue le présent cas des causes de Mario Paquet[4] et Cognyl-Fournier[5], c’est que dans le premier cas la décision n’a pas été prise par la personne compétente et dans le second, qu’il s’agissait d’un chien qui s’en était pris à d’autres chiens et qu’il ne comportait pas de risque d’être agressif envers les humains. Les faits qui soutendent notre cause n’ont rien de commun avec ceux qui furent à la base des jugements de madame la juge Hélène Lebel, j.c.s.
[28] Somme toute, force est de conclure que le demandeur Papakostas détient un droit plus que douteux, que ses chances de succès au fond sont à peu près inexistantes. Impossible de conclure à une apparence de droit suffisante et non frivole.
B) Le préjudice irréparable
[29] Il sera toujours possible pour Papakostas de se procurer un nouveau chien et de l’éduquer à vivre normalement en société. La sociabilité de Wicca est plus que douteuse.
[30] Le Tribunal est d’avis que le public subirait un plus grand préjudice si le sursis était accordé. Le chien de Papakostas représente un réel danger pour son entourage. Il est raisonnablement à craindre qu’un incident plus grave guette ceux qui sans le savoir, donc de manière imprévue, accostent l’animal en cause.
[31] En dépit de ce qui précède, par empathie, le Tribunal peut concevoir que de devoir faire euthanasier son chien apporte une grande peine affective. C’est malheureusement le prix à payer pour ne pas avoir su éduquer son chien à vivre dans une ville populeuse.
C) La balance des inconvénients
[32] Le Tribunal est d’avis qu’il doit être donné préséance à l’intérêt public en opposition à l’intérêt privé du demandeur.
[33] Le devoir de la Ville de Montréal de protéger le public est plus important que le droit individuel du demandeur. En clair, le droit d’un citoyen s’il en est un, ne peut l’emporter sur le droit de l’ensemble des citoyens.
D) L’urgence
[34] La Ville de Montréal n’a pas à attendre qu’un événement plus dramatique survienne avant d’agir. Les circonstances qui donnent ouverture à la présente instance militent en faveur d’une solution immédiate. Il faut en conclure à une urgence d’agir maintenant pour ainsi assurer d’éviter l’irréparable.
CONCLUSION
[35] Le demandeur Papakostas n’a pas démontré qu’il avait droit à un sursis. Dans l’exercice de sa discrétion devant des faits aussi probants, le Tribunal est convaincu que l’ordonnance de sauvegarde doit être refusée.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:
[36] REJETTE la demande d’ordonnance de sauvegarde et de sursis du demandeur Christos Papakostas;
[37] ORDONNE au demandeur Christos Papakostas de se conformer à l’ordre du directeur de la Direction de l’aménagement urbain et des services aux entreprises de l’arrondissement Villeray-Saint-Michel – Parc-Extension, tel que signifié le 11 juin 2012, dans les 48 heures du présent jugement;
[38] SANS FRAIS.
Wow! C’est bourré de mensonges. La Ville nous prend pour des imbéciles. Pfffft!
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